PERLE DES VAGUES ET NOUS 
 
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vers la première partie 
 
LES ILES DU CAP VERT 
 
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De hautes montagnes dénudées apparaissent, ainsi que de grands réservoirs "Shell" derrière le quai. Trois barques viennent à notre rencontre. Des hommes y sont assis; ils rament et passent près de nous. Nous sommes étonnés qu'ils soient sortis en mer par un vent de cette force. Nous comprendrons, plus tard, que cette situation est normale en ces îles. 
 
Nous entrons dans le port. Il y a suffisamment de place, seuls deux très beaux voiliers sont à quai, des jeunes gens de couleur sont sur le pont et nous regardent passer. Une  dizaine de gamins s'agitent sur le quai lorsque nous nous approchons pour accoster; prêts à nous accueillir. Ils s'empressent de nous aider à fixer les amarres. Tous sont de couleur plus ou moins foncée, leurs habits sont très usagés, ils marchent pieds nus et regarde ce bateau français comme les enfants regardent un arbre de Noël. 
 
Il est environ 8 heures du matin. Nous sommes dans le port de "Porto Grande" sur São Vicente, une des îles du Cap vert; on y parle portugais. 
 
Un policier et un médecin montent à bord, leurs habits sont d'un blanc neige, le médecin porte des lunettes de soleil très noires. Ils ne veulent rien de spécial, ils nous remettent un formulaire à remplir, et nous quittent aussi simplement qu'ils sont venus. 
 
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Plus le temps passe, plus la masse de curieux augmente; certains viennent et reparte, beaucoup restent, d'autres arrivent. Ceux qui sont là depuis des heures s'assoient sur le bord du quai et laissent pendre leurs jambes au dessus de nous. Je n'avais encore jamais vu des gens tellement négligés et en de telles guenilles. Cela n'a rien d'exceptionnel, car il n'y pas de source sur cette île, et il n'y pleut jamais. Les fruits et les légumes viennent de l'île voisine, éloignée d'une dizaine de kilomètres où il pleut. São Vicente ne vit que par son port, c'est pourquoi la jeunesse qui n'a pas de travail erre et mendie. 
 
Cette après-midi, plusieurs camions arrivent sur le quai, chargés de fûts de 200 litres, bosselés et cabossés, maintenus par des ficelles. Les ficelles sont sectionnées et les fûts tombent sur le sol avec un bruit de tonnerre. Déchargement à la "Cabo Verde". Ces misérables bidons, maltraités et déformés, sont chargés sur un bateau et seront rempli d'eau sur Santo Antão, l'île voisine, puis reviennent par le même moyen pour assurer l'approvisionnement de la population. 
 
Vers 4 heures, quand le soleil n'est plus si haut dans le ciel, nous allons en ville, à Mindelo. Il suffit de sortir du port et nous y sommes. Nous passons au pied d'une colline; à son sommet trône une ruine, une ancienne forteresse, aujourd'hui une prison. S'ensuit une rangée de charmantes maisons très colorées de bleu, rouge, jaune et vert avec des toits roses. Parfois un arbre solitaire et misérable est planté devant l'une d'elle. Je me demande comment il peut pousser en un pays où il n'y a pas d'eau! 
 
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Nous montons une rue adjacente et passons devant un marché. C'est un grand bâtiment, clos, avec un portail en fer qui est ouvert, car aujourd'hui dimanche est aussi jour de marché. Nous n'entrons pas, mais regardons cette construction de l'extérieur. En haut un écriteau: mercado. Une terrasse ouverte constitue le premier étage où sont entassés des monceaux de sacs. Dans la rue, à l'entrée, des enfants en loques s'avancent vers nous, la main tendue: "Senora". Ils sont dressés à mendier. Nous ne pouvons rien leur donner, car nous n'avons pas changé de monnaie. 
 
Nous allons jusqu'au bout de la route, et de loin nous apercevons une grande et belle maison rose au milieu d'une place: c'est la maison du gouverneur, qui est actuellement en vacance. Devant, un jardin en forme de cercle; malheureusement ses plantations sont pitoyables. Au lieu d'avoir planté, tout autour, des sansevierias, qui poussent ici malgré la sécheresse avec leurs belles couleurs bleues, on n'en a planté que quelques unes, qui sont submergées dans un amas d'herbes sauvages, plus dures et plus grandes que celle de nos prairies. Quelques étroits chemins cimentés, et ça et là un tonneau en bois peint en vert laisse sortir une plante famélique. Le chemin qui mène à l'entrée de la maison est bordé de chaque côté de demi-tonneaux en fer, desquels émerge une plante verte. L'ensemble donne pour le moins une tache verte dans ce paysage aride, néanmoins on ne peut pas dire que ce soit beau.  Derrière la maison, un palmier et un autre arbre ont un feuillage fourni et des feuilles plus vertes que le reste des rares arbres de l'île. 
 
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Nous continuons sur une route défoncée. Le style de ce pays est vraiment particulier; la plupart des personnes que nous rencontrons marchent pieds nus et nous dévisage comme une chose qu'ils n'avaient encore jamais vue. Nous marchons comme en parade. Des enfants dépenaillés marchent à coté de nous, ils veulent nous voir de très près. Tous nos efforts pour nous en libérer restent vains; si nous nous arrêtons, ils s'immobilisent et discutent en un portugais bruyant qui malmène nos oreilles. Nous n'avons encore jamais fait une telle promenade, ni jamais eu une telle escorte. 
 
Une femme d'un certain âge s'approche, elle a la main posée sur l'estomac, le regard tourné vers le ciel, elle nous crie des mots incompréhensibles, nous tend une main; un geste de mendicité. Nous n'avons pas de monnaie, ainsi nous ne pouvons rien lui donner. Elle réitère sa gestuelle, et crache sur le sol entre deux phrases. Ne pouvant nous faire comprendre, nous sommes contraints de l'abandonner. 
 
Nous marchons dans une rue où de jeunes palmiers dattiers sont plantés en rangées. Comment peuvent-ils pousser ici sans eau? Ce sont les premiers dattiers que nous voyons; ils sont beaux, leur tronc est formé uniquement de feuilles coupées. En bord de mer il y a des grands dattiers, que nous avons vus par la suite, ils portent réellement des fruits. 
 
Les rues sont pavées de petits cailloux ronds. De temps à autres un cycliste nous croise; les pauvres gens n'ont pas d'auto. Nous ne rencontrons que des autochtones; pas un seul européen. Une chèvre maigrichonne traverse la rue. Une femme avec un panier au bras marche devant nous; elle mange des mangues, l'une après l'autre. Elle jette la peau sur le sol, et quand elle a mangé la chair, le noyau plat subit le même sort. 
 
Le ciel se couvre de nuages noirs. Nous prenons le chemin du port pendant qu'un fort vent se lève, nous pressons le pas dans la crainte qu'une averse s'ensuive. Trois gouttes me tombent sur le bras, ça y est, dis-je, et nous marchons encore plus vite. Nous aurions pu rentrer paisiblement, car lorsque nous parvenons au bateau, les quelques gouttes ont cessé de tomber. C'était la grande giboulée de ce pays, où il ne pleut jamais vraiment. 
 
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Les badauds qui se baguenaudaient sur le quai à notre départ, sont toujours là, d'autres sont arrivés entre-temps. Ils forment un mur épais et ne bouge pas d'une semelle, ils épient chacun de nos gestes, crient, rient, crachent dans l'eau, se lèvent, se rassoient et se courbent lorsque la porte de la cuisine s'ouvre. 
 
Nous ne pouvons plus manger sur le pont et encore moins dormir comme nous le faisions en mer. Il nous faut vivre en bas où la ventilation est inexistante et la chaleur insupportable. Ce bateau est construit pour les mers froides et non pour les tropiques; beaucoup de place pour les poissons et peu pour l'équipage. Il est clair qu'ici, le long de la jetée nous n'aurons pas de tranquillité; à l'ancre à Las Palmas, loin du quai, nous n'étions pas importunés. 
 
Les îles du Cap Vert ont cette particularité qu'il y a beaucoup de vent; non pas un vent frais soufflant régulièrement, mais des périodes de calme et subitement se lève un vent pleureur, violent qui balaye l'île et agite la mer. Il ne dure que quelques minutes, parfois quelques secondes et tout redevient calme; il en est ainsi jour et nuit. Le vent survient soudainement, bruissant et disparait furtivement, à sa convenance. Une telle situation permet-elle, à un petit bateau, de se mettre à l'ancre lorsque le fond est boueux? Voilà le problème que cherchons à résoudre. 
 
Avec le coucher du soleil, nos voyeurs décampent. Ils sont bientôt remplacés par des voitures qui stoppent juste avant le bateau et nous illuminent longuement de leurs phares. Des hommes à peau blanche en sortent et marchent lentement le long du bateau en examinant tout avec intérêt et d'un œil scrutateur, pendant que les femmes restent dans les voitures. Nous sommes le point de mire de la plèbe le jour et de la gentry le soir, nous qui recherchons tellement la quiétude. 
 
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Avec le lever du jour la ronde des voyeurs recommence. Quelques uns d'abord puis d'autres, qu'il nous faut supporter, bon gré mal gré. Mais il est certain que dès que nous aurons fait le plein de gazole, nous resterons quelques jours au mouillage. C'est ainsi qu'aujourd'hui nous quittons la jetée et, malgré les vents dangereux, nous nous dirigeons vers la baie, où d'autres bateaux ont jeté l'ancre. Nous mouillons d'abord l'ancre de Bretagne, puis l'ancre de Las Palmas, qui "tiennent". Louant Dieu et joyeux, nous constatons que la remontée d'une ancre supplémentaire n'était pas due au hasard. 
 
Là, nous nous sommes rapprochés de la ville, nous distinguons très nettement les maisons; un tableau aux brillantes couleurs digne d'un musée. 
 
Si je regarde par-dessus la poupe, je peux voir non loin de nous qu'un grand bateau tout noir; ce fut, autrefois un magnifique voilier. Sur le bordage est écrit, noir sur blanc; "Senhor de Alieas". Comme nous sommes petits à côté de lui! Ce splendide bateau éveille mon imagination; combien il devait être merveilleux, en des temps anciens, lorsqu'il naviguait en haute mer toutes voiles dehors! Il faut leur reconnaître; les portugais étaient de fameux navigateurs. 
 
Mais aujourd'hui, ce bateau noir à l'ancre près de nous, n'a plus de mât, et sert d'habitation à quelques vagabonds. L'un d'entre eux doit cuisiner, car une fumée noire sort d'une tôle rouillée et tordue qui sert de cheminée. Il s'approche du bastingage, se penche par-dessus, et, à l'aide d'une boite de conserve attachée à une longue ficelle, après plusieurs essais, puise de l'eau de mer. 
 
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Ainsi qu'il en est en toutes choses, il y a des avantages et des inconvénients, car désormais si nous voulons aller en ville il nous faut accoster. Nous avons un petit youyou en plastique difficile à manœuvrer, surtout si le vent souffle comme il le fait ici. Nous avons faits des signes à deux rameurs dans une solide barque en bois qui avance rapidement à l'aide de deux longues rames. Ces hommes sont très satisfaits de gagner quelques douros. L'un deux parle un peu anglais, et, jusqu'à la dernière heure de notre séjour à Cabo Verde, ils nous ont emmené ponctuellement à terre à l'aller et au retour. 
 
A trois heures de l'après-midi, comme convenu, nos rameurs sont là. Nous les reconnaissons de loin, car l'un d'eux porte, chaque jour, le même pullover jaune clair. Nous sommes traités avec une politesse servile. L'habillé de jaune, qui semble être le chef, arbore sans cesse un large sourire, bien que manque la moitié de ses dents. Certes, nous allons à terre beaucoup plus rapidement qu'avec notre youyou en plastique. Les deux hommes ne se parlent pas; ramer est un exercice pénible. 
 
Du port, Flore et moi traversons le centre ville, nous ne nous y arrêtons pas, nous voulons voir les quartiers populaires. 
 
Ici point de chemins, seulement un terre poudreuse et rouge. Les maisons sont toutes semblables; rouges comme la terre avec laquelle elles sont construites. Elles sont basses, n'ont qu'une porte et une fenêtre; à vrai dire : une ouverture sans vitre sur la même façade que la porte. Comme il n'y a pas de rue, les maisons sont réparties de façon aléatoire, parfois deux se sont accolées. Le terrain étant fortement vallonné, plus haut s'y trouvent des huttes édifiées de tôles ondulées. 
 
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Nous apprécions d'être venus jusqu'ici, certainement nous ne verrons jamais plus une telle pauvreté. Cette partie de l'île est poussiéreuse, monotone, sèche, extrêmement rudimentaire, mais particulièrement pittoresque. 
 
 
 
 
 
Un bel âne, tout gris, s'abrite à l'ombre d'un mur. Plus loin des linges sèchent, suspendus le long d'un mur, maintenus sur le faîte par des pierres. Au coin d'une maison, une femme est assise su le sol, beaucoup d'enfants autour d'elle, presque tous sont nus. Nous redescendons.  Une petite fille est assise sur le sol devant une maison. Elle joue avec des cailloux. Elle a dessiné un beau carré sur la terre rouge; sa boutique. Un tas de gros cailloux, un tas de petits cailloux, un autre de très petits cailloux… 
 
Avant que nous arrivions au centre ville, un homme nous interpelle en français: "bonjour". Nous avions fait connaissance, deux jours auparavant, dans le port, où il a un petit bateau. Il est assis sur une chaise devant une maison, de couleur de la terre et nous dit: voici ma maison, entrez. Par curiosité de connaître l'intérieur, nous entrons. Il nous présente une vielle femme, sa mère, qui fête aujourd'hui son cent dixième anniversaire. Il nous demande si nous voulons boire quelque chose. Oui, s'il vous plait; un verre d'eau, que m'apporte de suite la vielle femme dans un très beau verre. Elle en profite pour regarder mes jambes et admire mes sandales argentées que j'ai acheté à Las Palmas. C'est ce que nous a traduit son fils. 
 
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L'intérieur de cette maison ne présente qu'une unique pièce; deux lits, l'un accolé au mur de gauche et l'autre au mur du fond, entre eux juste la place pour un petit banc et deux chaises sur lesquelles nous sommes assises. Près de l'autre mur, une vieille commode; au-dessus, le mur est orné de photographies.  A droite des marches conduisent dans un petit local ouvert qui doit être la cuisine car c'est de là que la femme a apporté de l'eau. L'homme décroche une photographie, nous la montre et dit: c'est ma femme. Il rit comme si cela lui procurait une grande joie. Puis il sort un papier et un crayon du tiroir de la commode. Il les présente à Flore en disant: "écris-moi ton adresse dessus". Je lui murmure en allemand: "n'inscris que ton prénom". Je m'efforce d'avaler le reste de l'eau qui est chaude et a un goût indéfini. Nous nous levons. La chaleur est insupportable; la porte et la fenêtre du même côté ne permet aucune ventilation. Avec nos remerciements et une poignée de main nous sortons aussi vite que possible. L'homme se tient dans l'encadrement de la porte et lit: "Flore", puis à voix forte ajoute: "chérie". 
 
 
 
 
Nous nous rendons rapidement au marché avant qu'il ne ferme. Ce qui a pour effet d'attiser le regard des curieux, car les autochtones ne se déplacent qu'à pas lents. Très vite nous nous trouvons devant le portail en fer; à l'intérieur deux larges escaliers conduisent au premier étage. Légumes et fruits disparates sont principalement d'essence tropicale; ils viennent de l'île voisine. Chaque vendeur dispose sa marchandise sur une petite table ou sur le sol. Le choix est restreint: noix de coco, bananes, mangues, épis de maïs, coings, quelques feuilles de salade et surtout des haricots secs dans des sacs placés côte à côte. Chaque sac présente des couleurs différentes. Ah! Quelles couleurs! Unie, bi, tricolore, rayée, tachetée, bordurée de blanc. Pas une seule couleur discordante, les tons s'harmonisent parfaitement; spectacle enchanteur. C'est le pays des haricots secs 
 
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Flore achète la valeur d'un petit gobelet de chaque sorte. Elle a l'intention d'en faire un collage, qu’elle intitulera: "Soleil couchant sur les îles du Cap vert". Ce tableau nous rappellera l'ambiance de ces îles. Exactement six heures, la cloche retentit; nous payons le dernier gobelet et quittons le marché. Un homme se tient au portail et ne laisse entrer personne. Nous regagnons le port, très proche. 
 
Ce matin, un bateau de guerre tout gris, est à l'entrée du port; il est si grand qu'il en ferme l'accès, du moins cela me semble ainsi. Nous l'observons à la jumelle; il y a vraiment beaucoup à voir, nous n'en avons jamais vu de si grands. Les couleurs sont hissées: il est américain, nous décidons que c'est croiseur. 
 
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Par tribord un canot à moteur est descendu, avec des hommes vêtus de blanc dedans. Ensuite un autre canot descend avec des hommes vêtus de bleu. Ces deux canots tournent sans cesse autour de bateau géant; sans aucun doute ce sont les hommes de garde. Bientôt nous comprenons que ce bateau fait escale pour se ravitailler en carburant, car l'une des barges qui, habituellement stationnent dans la baie, a été remorquée et s'approche du géant. Cette barge n'a pas de moteur de propulsion, seulement un moteur à vapeur pour actionner la pompe de transfert du carburant. Cette opération a pour effet de produire un épais nuage de fumée qui, lentement, noircit le beau croiseur. Pendant que la première barge, vidée, s'éloigne, une autre, pleine, est remorquée et prend la place. Pas de perte de temps. les barges vides sont remorquées jusque dans l'anse où se trouvent les immenses réservoirs pour être remplies de nouveau et replacées à leur lieu de stationnement habituel. 
 
Très haut sur le croiseur il y a de nombreuses antennes très complexes, et toutes sortes de paraboles radar; les unes pour la navigation, pour observer les autres bateaux, ou pour contrôler les roquettes, dont la rampe de lancement se trouve à l'avant. 
 
Un de leur canot entre dans notre baie et se dirige droit vers nous. Impassibles, nous attendons ce qui va advenir. Dans ce canot il y a des officiers debout et un matelot à la barre. Le canot s'arrête à deux mètre de nous, contourne lentement la prou, et arrivé de l'autre bord, riant amicalement, nous saluent en levant la main droite, nous leur répondons de même; tout se passe en silence, aucune parole n'est échangée. C'est une tradition normale des gens de mer. 
 
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Nous pensons qu'ils vont à terre; il n'en est rien. Ils se dirigent vers la droite et reprennent la direction de leur bateau. Ils ont fait un petit voyage dans la baie. Dès que le ravitaillement est terminé, le croiseur quitte le port de Porto Grande. 
 
Nous allons encore une fois en ville avant de reprendre la mer. Dès que nous sommes arrivés au bout du quai, nous sommes entourés d'enfants mendiants. Au début nous éprouvions de la compassion pour eux, mais après une semaine parmi eux nous sommes un peu immunisés contre la mendicité, ici, presque tout un chacun mendie. Il suffit d'être européen et d'être habillé normalement, on est alors poursuivi d'un bout de la ville à l'autre. Si nous donnions quelque chose à chacun, nous serions nous-mêmes des mendiants. Une fois, l'un d'eux a voulu enfiler un pullover, que nous utilisons comme chiffon pour nous sécher les mains mouillées à l'eau de mer. C'est probablement la raison pour laquelle nous ne voyons aucun européen en ville; je suppose qu'ils ne se déplacent qu'en voiture. 
 
Au marché nous achetons des bananes pour manger de suite. Nous voulons acheter aussi quelques mains de bananes vertes pour emporter; elles sont au rez-de-chaussée, suspendues à des poutres; nous les prendrons à la fin de nos achats.  
 
Nous allons vers un jeune vendeur, qui se tient derrière une table, sur laquelle est une caisse où se trouvent des ignames. Nous nous comprenons difficilement. Nous lui disons en montrant du doigt les bananes, et lui disons en espagnol "dix kilos". Après une longue gesticulation, il comprend enfin, et pèse maladroitement nos dix  kilos de bananes. 
 
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Lorsque je lui mets la monnaie dans la main, un vieil homme survient et fustige le jeune vendeur en indiquant la monnaie qu'il a dans la main. Le jeune répond vertement et les deux s'invectivent copieusement. J'attends jusqu'à ce qu'il me rende la  monnaie. En nous éloignant, je regarde en arrière et je vois le vieux qui mange une banane; nul doute ils se sont réconciliés. 
 
Entre-temps nous avons soif; une soif qui colle la langue au palais. Juste à côté du marché il y a un café où nous entrons pour boire un coca-cola. Nous sommes surpris d'y trouver beaucoup d'étrangers autour des tables. Ce ne sont pas des habitants du pays, mais des marins d'un bateau brésilien qui est entré dans le port ce matin. Sur le comptoir, une radio portative muette, car un chanteur portugais crie dans un haut-parleur des rengaines éculées. A la porte un berger allemand est couché, quel effet ce vacarme peut-il avoir sur ses oreilles? Peut-être en a-t-il l'habitude; peut-être a-t-il un système de fermeture d'ouïe? 
 
Les marins brésiliens boivent du moka dans de petites tasses. Lentement, d'un air nostalgique, ils tournent la cuillère pour dissoudre le sucre. Derrière eux, un mur et une sortie. La porte ne ferme que la moitié du bas, formée de  lattes afin de laisser passer le vent. La partie haute est fermée par un rideau bariolé qui est gonflé comme une voile par le vent qui vient de la cour. Le chien assoupi se lève lentement avec peine, baillant il se traine dans le coin opposé à la porte dans le courant d'air et s'affale sur le sol. La serveuse portugaise s'approche de nous, sa courte robe lui colle exactement à la peau. Avec un rire large, elle verse dans nos verres le liquide jaune d'une boite de conserve. Nous payons de suite. Dès que nous avons bu ce froid liquide rafraichissant, nous prenons le large. Nous avons payé aussi cher que si nous avions bu à Paris sur une terrasse des Champs Elysées. 
 
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19 août 
 
Aujourd'hui, lundi, nous quittons le port de Porto Grande. Le moteur tourne et le treuil est branché pour lever les deux ancres qui n’ont pas dérapé. Le quai, les maisons s'estompent. Nous passons devant la montagne abrupte et dénudée, qui s'éloigne lentement; son sommet disparait dans des nuages noirs. La mer est calme, le ciel de plus en plus bleu à mesure que nous nous éloignons. Nous sommes très satisfaits de la toile à voile que nous avons achetée à Mindelo et tendue sur la bôme, qui nous abrite du soleil. 
A notre droite la haute montagne de Santo Antao. Le plus haut sommet de la chaine est à l'ouest: le "Tope Coroa" — 1979 m — couvert, lui aussi, par des nuages. C'est l'île verdoyante où il pleut; il doit y avoir de beaux paysages, mais nous n'en voyons que des contours grisâtres. 
 
21 août 
 
Un poisson à mordu à l'hameçon. Magnifique animal, plus argenté que l'argent; presque une faute que de le manger.  
 
De nombreux dauphins, à droite et à gauche, nous accompagnent longtemps. Ils nagent tout proche de la coque; je présume qu'ils aiment la compagnie des petits bateaux. Parfois ils sautent hors de l'eau. Joyeuse compagnie qui modifie la vue monotone de la mer. 
 
23 août 
 
Ce matin le ciel est gris. Ray attire notre attention sur un gros poisson qui nous suit,  et qui, parfois, jaillit de l'eau sur toute sa longueur. 
 
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A midi, le soleil ne s'est toujours pas montré, il pleut. Le gros poisson qui nous suivait, est maintenant devant nous accompagné d'un second. Ce sont des marsouins, deux bons mètres de long. Ils nagent tout près de l'étrave, un peu à gauche, un peu à droite, juste en dessous de la surface de l'eau. Nous les voyons parfaitement; leur couleur brun-vert tranche sur le bleu profond de l'océan. Lorsqu'ils rencontrent une vague, ils se propulsent à moitié hors de l'eau. 
 
 
 
Vers midi le temps fraîchit; loin à l'horizon des éclairs scintillent de temps à autre. 
 
24 Août 
 
Merveilleuse aurore bleue et rose qui couvre la tente céleste, survient un jaune orange qui émerge entre ces tendres couleurs. 
 
Dès le matin il fait très chaud. Le soleil est exactement à la verticale, nous sommes au zénith. La mer est plate, la houle arrive et s’éloigne lentement. En mer il y a deux sortes de mouvement. Nous sommes dans un contre-courant. Sans le toit en toile de voile il nous serait difficile de supporter le soleil. Nous sommes en maillot de bain et nous nous versons des seaux d'eau sur la tête aussi souvent qu'il nous en semble nécessaire. 
 
25 août 
 
Dimanche. Cette nuit, une grosse averse est tombée subitement, mais le vent et la mer se sont calmés tout aussi rapidement. 
 
Nous ramenons la ligne à bord, car un thon a mordu à l'hameçon. Dans les mers du sud il se nomme: bonite. +++  A nouveau je m'émerveille devant ses couleurs; bleu-noir sur le dos couvert de longues trainées couleur d'arc-en-ciel, sur le ventre, argent clair et brillant, une tache verte qui se colore en or quand elle est exposée au soleil; un animal féerique. Quelle abondante richesse de beauté le créateur n'a-t-il pas pourvu cet animal qui vit là où aucun bateau ne passe et que personne ne voit, ne l'a-t-il pas doté des couleurs du ciel, de l'aube et l'aurore? 
 
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Vers dix heures nous apercevons une tige de bambou piquée dans la mer,  fixé sur la pointe un petit drapeau blanc flotte au vent. Qu'est-ce, dit Ray, qui demande les jumelles, alors qu'il était occupé à faire le point. La tige de bambou semble plantée dans une masse sombre. Nous nous en approchons et pouvons la saisir à la main et l'amener à bord. La tige est fixée sur une grosse boule en verre foncé, ainsi qu’à une longue ligne qui s'enfonce dans la mer. C'est une palangre japonaise.+++   Les japonais, pêchent dans tous les océans, ils l'auront perdue, et le courant qui passe devant l'Afrique l'aura déporté à plus de 1200 miles vers l'ouest. 
 
27 août 
 
Le ciel est gris, avec de temps à autre quelques averses. Les dauphins nous accompagnent de nouveau. En soirée, une autre bonite argentée mord à l'hameçon. 
 
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28 août 
 
Aujourd'hui est un jour très chaud et la mer est d'huile. Le vent vient de l'avant, ce qui ralentit légèrement notre vitesse. Excepté la mer et le ciel nous ne voyons rien d'autre, même pas un chat, comme l'on dit chez nous. Depuis que nous sommes partis des îles, nous n'avons vu aucun bateau, mais justement au moment où j'écris ces lignes, des oiseaux noirs en quête de poissons, surgissent près de nous. Une sorte de mouette. Ils tournent un certain temps autour du même point et disparaissent comme ils sont venus. Une bonite argentée a mordu à l'hameçon, plus petite que celle d'hier. - Nous laissons trainer une ligne de cinquante mètres avec un hameçon et un leurre - Je ne me lasserais jamais d'admirer la beauté, l'harmonie des couleurs et la forme de cet élégant poisson. Que le sang de poisson soit froid, est une erreur. Au moment où nous l'avons décapité, un sang chaud jaillit, aussi rouge que le nôtre. A l'ouverture du ventre on peut constater que les organes sont chauds. Son cœur extirpé bat encore dans notre main. Son estomac est rempli de poissons minuscules. 
 
Dans trois jours nous arriverons à Cayenne, ce qui signifie la fin du voyage. 
 
29 août 
 
Cette nuit le vent a soufflé avec force. Une pluie abondante s'ensuivit. Plus le vent soufflait plus la mer grossissait, nous étions durement secoués. Aucun de nous n'a pu dormir. Les mouettes noires sont réapparues et tournent autour de nous, chaque fois qu'elles passent devant le feu de bâbord ou de tribord, elle lance un cri strident. Si nous eussions été superstitieux, la pluie, la tempête, le roulis,  les oiseaux noirs, nous démoraliseraient, toutefois, il y a longtemps que nous avons donné congé à la superstition, c'est pourquoi aucune peur n'est en nous. Au lever du soleil, la mer s'est calmée. 
 
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30 août 
 
Toujours des nuages noirs et une pluie intermittente. Cette après-midi nous apercevons, enfin, un bateau; loin sur l'horizon deux mâts. Ray parle avec radio-Cayenne et demande l'envoie d'un pilote pour dimanche matin. Le temps s'améliore lentement, on voit un ciel bleu derrière les nuages. 
 
31 août 
 
Très tôt ce matin, Ray me dit: "viens à l'avant et sens l'odeur de la terre". Effectivement, une très agréable odeur, à laquelle nous avons renoncé depuis longtemps, nous parvient avec l'aurore. Nous respirons à pleins poumons. Autour de nous des dauphins viennent et repartent, tendant parfois la tête et la nageoire dorsale hors de l'eau, pour respirer, eux aussi, puis, d'un mouvement arrondi, ils disparaissent sous l'eau, où nous pouvons encore les voir en de courts instants. Toute la nuit ils nous ont accompagné; charmant spectacle, surtout la nuit lorsqu'ils passent à travers la vague et laissent derrière une trainée blanche qui scintille de mille étoiles liées en chapelet. C'est le phosphore du plancton qui s'illumine quand l’eau est agitée par la nage; féerie nautique. 
 
Le ciel est presque libéré des nuages, et le soleil achève son lever. De l'horizon, où il semble que le ciel et la terre se touchent, des rayons dorés montent, comme s'ils sortaient de la mer. Verticaux ou de biais, ils forment un demi cercle lumineux dans la voute sphérique du ciel. En dessous la mer calme et bleue. Vision extraordinaire, beauté dont les mots manquent pour l'exprimer. Un merveilleux jour se lève, le dernier du voyage. 
 
Vers onze heures nous croissons un bateau de pêche américain, qui pêche des crevettes (shrimps) qui seront congelées et vendues aux USA. La mer prend une teinte verte, plutôt vert-émeraude, il y a peu de profondeur. 
 
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Vers quatorze heures, Sylvia est à l'avant avec les jumelles. Elle crie: "la terre". Ray, qui essayait de dormir un peu, se lève et constate qu'effectivement on perçoit des lignes grises à l'horizon, une bosse à gauche, une longue ligne, et plusieurs montagnes. Il faut avoir de bons yeux pour les voir. Selon les instructions nautiques, nous sommes devant Cayenne. La petite bosse à gauche est une île: "la Mère", la longue ligne: "le plateau de Mahury", à droite, la montagne de "Bourda" et l'île “le Père". 
 
Environ deux heures après nous pouvons apercevoir de grands arbres. plus nous avançons plus nous remarquons que ce pays est couvert de verdure. C'est très apaisant, surtout si l'on vient des îles du Cap Vert. Qu'une montagne est belle lorsqu'elle se présente sous une forme arrondie et couverte d'arbres, en opposition à une autre où ne pousse pas le moindre brin d'herbe. Bientôt nous constatons qu'il n'y pas un seul endroit sans verdure; un arbre à côté d'un arbre. Les majestueux cocotiers dépassent tous les autres, ils portent leurs feuilles et leurs fruits très haut dans le ciel. Une grande maison blanche est perchée sur une montagne. Beaucoup de petites et moyennes maisons aux toits rouges sont éparpillées le long de la mer; à l'aide de la jumelle, nous nous les approchons l'une après l'autre. 
 
La mer a pris une couleur brun clair, car le fond est vaseux; plus au sud l'Amazone débouche dans la mer, charriant des masses de terre, arrachées par les fortes pluies, des contrées qu'il arrose et que le courant des Guyanes entraine. 
 
Nous voyons maintenant, à droite, un rocher qui ressemble à une église "L’enfant Perdu". 
 
Nous sommes convenus que le pilote nous trouve demain matin, vers onze heures, près des bouées. Un vent très fort se lève soudainement, une forte houle se forme. La nuit approche. Nous essayons de nous ancrer afin de nous accorder une bonne nuit de sommeil. Malheureusement nous constatons que l'ancre sur de la vase et par un vent fort, ne tient pas. Il glisse avec une vitesse d'au moins un nœud et demi. Profondément déçus, nous remontons l'ancre. 
 
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Ray appelle Cayenne par radio. afin de demander s'il est possible que le pilote vienne ce soir. Malheureusement, à la réception, la personne n'est pas au courant de notre demande de jeudi matin. Elle nous demande le numéro de téléphone du pilote; cette personne ignore qu'il s'agit d'un petit bateau qui arrive de France, non pas d'un cargo. Après plusieurs explications, la personne accepte de téléphoner au pilote, lequel n'est pas joignable. Il ne nous reste qu’à louvoyer devant Cayenne, dans les parages de l'Enfant perdu, sans perdre de vue le phare qui nous indique où nous sommes. 
 
La mer est tellement mauvaise que j'ai beaucoup de difficulté à faire la cuisine. Une bonne nuit de sommeil sera pour une autre nuit. Nous avons le cœur triste, si près du but et une telle épreuve de patience! Je me souviens de l'histoire des juifs qui ont dû faire sept fois le tour de Jéricho avant que les murs ne s'écroulent. Certainement le Seigneur à encore quelque chose à nous dire en cette dernière nuit de notre merveilleux voyage. Repentir de chacune de nos mauvaises pensées, de chaque mot d'impatience, afin que nous soyons reconnaissant pour toute la grâce et de la protection qui nous a été accordé et que, demain, nous commencions dignement notre nouvelle vie. Ray se découvre et tous ensemble nous prions. Environ une heure après, le vent faiblit et la mer se calme, ce qui permet à chacun de nous de dormir quelques heures. 
 
LA GUYANE 
 
Dimanche 1 septembre 1968 
 
Le ciel est bleu ce matin et la mer, brun clair, est calme. De temps à autre, un tronc d'arbre passe. Nous sommes près de la bouée, non loin de l'Enfant Perdu et attendons le pilote. Vingt minutes avant onze heures nous voyons une vedette rapide qui s'avance en notre direction. Ray dit: ce ne peut-être que notre pilote. Effectivement, il nous fait des signaux avec un projecteur, et nous demande d'aller vers lui. 
 
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Dix ou quinze minutes de route et nous sommes près de lui. Trois hommes du pays sont dans la vedette, un se tient droit près du bastingage; c'est le pilote. Il attend que nous soyons bord à bord, et d'un saut il est sur notre pont. Au même moment, suite à un mouvement de houle, la vedette est projetée brutalement contre notre coque, un "crac" retentit. Nous sommes étonnés qu'il n'y ait rien de cassé, apparemment notre "Perle" en a vu d'autres.  
 
Ray et le pilote sont dans le poste de pilotage, ce dernier à pris le commandement. On ne peut entrer dans le fleuve qu'à marée haute, car il y peu de profondeur. Entrer en un port que l'on ne connait pas, est très dangereux, il vaut mieux payer un pilote que d'aller s'échouer sur le sec. 
 
Ce pays est beau et nous parait sympathique. Nous regardons chaque détail avec le plus vif intérêt, car nous voulons y vivre. 
 
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Maisons aux toits rouges, beaux arbres, cocotiers, pas de gratte-ciel, seulement, sur la droite un grand bâtiment jaune; une caserne, sans doute. 
 
Nous atteignons le port en une heure. A sa droite, dans une baie, quelques petits bateaux sont à l'ancre. Ils ont un aspect particulier, de belles formes, chacun se protège avec un toit en toile. Ce sont des bateaux brésiliens, des "tapouilles". 
 
Il est presque midi, Flore m'appelle et dit: Sens-tu? Cette odeur me rappelle quelque chose: cela sent la fumée, l'air humide de la forêt, la sueur et les fleurs tropicales: le repas des indigènes. Tout ce mélange produit un effluve de vie et de terriens, qui contraste avec nous qui venons de la mer, habitués à l'air homogène et salée. Air marin qui nous a donné une couleur de peau brune et dorée, sous le soleil et sa  réfraction. 
 
Nous abordons à la place indiquée par le pilote qui est aussi le capitaine du port. Il débarque, son travail est terminé, néanmoins il nous aide à nous amarrer. Quelques hommes se tiennent sur le quai et nous regardent d'en haut. De l'autre côté du quai, sur le fleuve, un cargo allemand, l'"Amazonas". Le bosco nous racontera plus tard ce qu'il a dit à ses marins: "regardez bien comment ces jeunes filles aident à amarrer leur bateau et comment elles s'y prennent; ça, se sont de vrais marins". 
 
Une des filles dit: "savez-vous que nous sommes en Amérique du sud?" -  "Je ne peux pas y croire, je pense que je rêve". Pas de rêve, vérité, pure réalité; Ces vieux arbres, ces cocotiers, ce ciel bleu email, cette chaleur, ces bateaux brésiliens, et surtout les gens qui sont dessus; sud américains typiques, petits, bruns, cheveux noirs sans barbe, habits blanchis par d'innombrables lavages, grand chapeau de paille, toujours aimables et près à rendre service; des gens de mer. nous sommes en Amérique du sud. 
 
Ray va en ville pour acheter du pain. Nous l'avons attendu longtemps, car il a fait connaissance de monsieur F. qui est propriétaire d'une usine de crevettes. Monsieur F. doit venir à quinze heures, pour nous emmener à 30 km. dans l'intérieur du pays, chez un planteur.  
 
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Nous roulons à travers Cayenne. Couverts de sueur, nous examinons la ville. Beaucoup de maisons sont bâties sur pilotis. Ces maisons ont des fenêtres sur les quatre murs, les volets sont entr’ouverts ou fermés. Les fenêtres n'ont pas de vitre, sauf dans les maisons style européen. Généralement les toits, en tôles ondulées, dépassent largement la toiture, ce qui protège du soleil et de la pluie. Cayenne est une ville vieille, et a une allure coloniale particulière. 
 
 
 
Monsieur F. se dirige vers un distributeur d'essence, un taxi s'y trouve déjà, totalement occupé par des hommes et des enfants; une foule de vrais indiens. Ils ont beaucoup de caractère, et leur fierté est écrite sur leur visage. On peut dire qu'ils sont beaux; leurs longs cheveux, d'un beau noir, leur vont mieux que s'ils étaient courts. Ils ont la tête près des épaules, car leur cou est court. C'est ainsi que nous avons vu, dès le premier jour, ces "primitifs", qui semblaient n'avoir jamais quitté la forêt vierge,  
 
Au sortir de la ville, monsieur F. nous explique: toute la contrée, que vous voyez, qui est couverte de brousse sauvage, était, autrefois, couverte de plantations. Aujourd'hui, il faut tout importer. Chacun plante quelques bananiers pour soi; ceux qui n'ont pas de jardin doivent payer très chers les fruits et les légumes. Monsieur F. parle abondamment, sa voix agit sur moi comme le moteur de notre bateau, car Flore et moi sommes assises à l'arrière de la voiture, et nous ne comprenons que la moitié de ce qu'il dit. 
 
Les planteurs sont très aimables et très hospitaliers.  Ils nous montrent leur nouvelle plantation, qui pousse très bien, et nous offrent des boissons rafraichissantes. Leur maison est construite sur la colline, le salon est ouvert des deux côtés, ce qui donne un courant d'air agréable et la vue sur les plantations. Derrière la maison, une grande cage emprisonne un singe, tout autour, des poulets bruns se promènent. Un peu plus loin, à l'ombre d'un arbre, deux perroquets se reposent, l'un d'eux a des plumes de toutes les couleurs. Ce sont des aras, qui, quand ils ont faim, entrent en volant dans la maison. Le temps passe vite, et nous devons prendre congé, nous aurions bien aimé rester plus longtemps. 
 
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Nous retournons au bateau, et c'est l'heure du dîner. Monsieur F. est notre invité à bord. Tôt, le lendemain matin, il arrive avec du pain qu'il nous a acheté. Au cours de la journée, Ray lui explique que nous cherchons une maison pour toute la famille, et que nous avons nos meubles à bord. Monsieur F. lui dit qu'il possède une grande maison sur le mont Bourda, et que sa femme et ses enfants sont repartis en France il y a six mois. Il veut bien mettre cette maison à notre disposition, à une condition: que nous réservions une pièce pour son frère, qui doit venir le remplacer, car, lui-même doit aller en France pour s'occuper de la vente des crevettes. 
 
Avons-nous bien entendu? Nous avons peine à le croire, mais nous savons que : "C'est de l'Eternel que cela est venu: C'est un prodige à nos yeux." Ps.118:23  Certes, nous avons foi en notre Seigneur, qu'il ne nous abandonne pas dans la honte dans ce pays où nous sommes arrivés, sans contrat, sans assurance d'un emploi, ignorant l'ambiance générale, sans recommandation, n'y connaissant personne. Nous avons entrepris ce voyage sachant bien que beaucoup nous taxeront d'insensés. Mais le Seigneur ne nous a pas ajouté une dure épreuve supplémentaire, en nous faisant attendre dans le port. Sa bonté et sa fidélité a fait qu'au deuxième jour de notre arrivée il a ouvert une porte, il peut faire infiniment au delà de tout ce que nous demandons ou pensons. Eph.3:20  Il nous a exaucés justement là où nous avons eu foi en lui. Nous avons appris, plus tard, que les douaniers étaient persuadés que nous sommes venus ayant un contrat avec monsieur F. et que nous connaissions auparavant. 
 
Ainsi en est-il avec le Seigneur, qui, deux jours plus tard, fit un miracle encore plus étonnant. Monsieur F. venait parfois partager notre repas. Est-ce notre foi chrétienne - Ray n'a aucune gêne à prier avant les repas — est-ce par son comportement, toujours en est-il que monsieur F. lui accorda une grande confiance, telle qu'il lui confia la direction de son usine, en expliquant que son frère était bien jeune pour assumer une telle charge. Louange à toi Seigneur. 
 
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Jeudi matin, 5 septembre, nous sortons les meubles du bateau. Avant de commencer le déménagement, la douane nous avait avertis qu'il fallait d'abord indiquer une adresse. N'est-ce pas incroyable? Nous embauchons trois jeunes hommes brésiliens. Extraits par la grande écoutille, les meubles sont entreposés sur le quai. Cette opération se fait à marrée basse. Dur travail, le bateau se trouve alors à trois à quatre mètres en dessous du quai. Chaque meuble est attaché avec des cordes reliées à un palan, lui-même fixé sur le mât. Arrivés sur le quai, chaque meuble doit être dénoué, pour libérer le palan. Chacun aide de son mieux; aucun ombrage possible, sous un soleil brûlant. Le thermomètre du poste de pilotage indique 34° C. 
 
J'admire les brésiliens; ils travaillent sous cette chaleur sans un instant de repos. La sueur coule des cheveux sur le cou comme des petits ruisseaux, la chemise totalement mouillée. Flore qui travaille dans la cale n'a jamais tant sué de sa vie. Elle se plie souvent, alors la sueur s'écoule par le menton pour tomber à terre. 
 
Le petit camion de monsieur F. étant chargé, il roule vers Bourda, 4 kilomètres de Cayenne. Je prends part au deuxième voyage avec les deux petites, Véronique et Johelle, ainsi elles pourront jouer dans le jardin.   
 
Les meubles étant déchargés, les courageux brésiliens n'en ont pas fini, il leur faut encore les monter; la pente est raide et les marches sont nombreuses. 
 
Le petit camion est reparti, et je suis seule en ce nouvel environnement. Je me sens étrangère en cette maison et tous ces arbres qui l'entourent m'impressionnent. Je suis oppressée et triste. Pourquoi? 
 
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Ne pourrais-je plus vivre sur la terre ferme? Mon regard se porte légèrement à gauche vers le bas, là, l'eau scintille et ondule… C'est toi, mer chérie! O! Comme je te ressens et te comprends; comme tu es loin de moi désormais. C'est seulement par un tout petit espace entre deux arbres que je t'aperçois et que j’entends le ressac. Mer bien aimée, Perle des Vagues, vous êtes dans mon cœur.  
 
Notre miraculeux voyage est terminé, et je dois vivre comme une terrienne ordinaire. "Seigneur Jésus, tu le sais. Tout ce qui est sous le ciel est à toi; tu me renouvelle ta grâce chaque matin, et mon âme guérira ". 
E.E.B-W  
 
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